M. le Président, vous n’êtes plus député pour avoir renoncé à votre mandat. Quelle est la justification de ce choix ?
J’ai renoncé à mon mandat parce que c’était un engagement que j’avais pris au départ. Je n’envisageais même pas d’être sur la liste de Bokk gis gis, bien qu’étant parmi les principaux initiateurs de la mise en place de cette coalition. D’autres frères et amis étaient dans cette perspective. Mais, on nous a convaincus qu’il fallait, ne serait-ce que pour crédibiliser la démarche, que nous figurions sur les listes.
Vous étiez aussi dans la même logique que Pape Diop…
Pape Diop et la plupart des ministres d’Etat. C’est peut-être cela qui a créé d’ailleurs cette confusion dans le débat avec Abdoulaye Baldé. C’est vrai qu’il ne s’est jamais engagé mais beaucoup l’avaient fait. Mais à sa décharge, Baldé ne s’est jamais engagé en ce sens. Il n’y a pas de raison de polémiquer sur cette question. Par la suite, il a créé son parti. Cela dit, on avait envisagé même d’aller plus loin, dans la perspective de 2014 avec Bokk gis gis. Des réflexions sont en cours pour voir l’opportunité de maintenir la coalition et sous quelle forme. D’autres envisagent même de créer un parti, d’autres des mouvements. Le débat n’est pas encore tranché.
Certains ont, pourtant, considéré qu’à partir du moment où des gens sont investis sur une liste, ils peuvent cristalliser un électorat sans pour autant siéger. Est-ce que ce n’est pas détourner le vote des électeurs ?
Non ! De mon point de vue, l’identification se fait surtout quand on est sur la liste départementale. Il me serait difficile, si j’étais investi sur la liste départementale de Pikine, que les gens de Pikine portent leur choix sur ma personne et que je désiste. Mais sur la liste nationale, c’est une question de position. Donc, je pense que psychologiquement, moralement, ce n’est pas lourd à porter quand on est sur la liste nationale par rapport à ceux qui sont sur la liste départementale.
Le débat a été posé aussi ?
Personnellement, pendant la campagne, je ne l’ai pas caché aux militants du département de Pikine. Ce n’est pas seulement à l’Assemblée qu’on peut être utile pour son pays ou son Peuple.
Il y a eu des difficultés lors de la confection des listes de Bokk gis gis. Tout le monde voulait être aux premiers rangs ?
C’est sûr, il y a eu des discussions très sérieuses, très serrées, pénibles même parfois. Mais au bout du compte, nous y sommes arrivés. C’est une coalition, les gens ne se connaissaient pas très bien, c’était la première fois que certains responsables se retrouvaient dans un cadre politique commun. C’était tout nouveau et cela s’est fait dans la précipitation compte tenu des delais très courts. On a même réussi une prouesse en mettant en place cette liste qui était crédible. On n’a pas eu le résultat escompté, mais l’œuvre est là et je pense qu’on peut en tirer quelque chose.
Mais quand vous faisiez cette liste, pensiez-vous gagner et arriver devant le Pds, est-ce que ce n’est pas une déception que d’être derrière le Pds ?
Une déception, peut-être. Par rapport aux échos que nous avions quand on a mis en place la coalition. La plupart d’entre nous considèrent que le résultat est appréciable compte tenu du peu de temps qu’on a mis pour mettre en place la coalition ainsi que les difficultés rencontrées pour nous comprendre et mettre en œuvre une campagne bien organisée. Dans ce contexte, l’engouement autour de la coalition presidentielle victorieuse était tel qu’on ne se faisait pas d’illusion. Le Pds a également fait une campagne contre Bokk gis gis. Tout cela réuni, et malgré la déception, je pense qu’il y a quand même des perspectives qui sont ouvertes. Le plus important, dans un engagement politique de ce genre, c’est d’être en accord avec ma conscience quel qu’en soit le resultat.
Mais après coup, est-ce que vous ne vous dites pas qu’après tout, le Pds et Bokk gis gis ensemble auraient pu faire mal ?
Peut-être. Mais je pense que nous n’avons pas à regretter ce qui s’est passé. Personnellement. Je pense que le cours des choses aurait été différent si des discussions sérieuses consistant à tirer les leçons de ce qui venait de se passer à la Présidentielle de 2012, de ce qui s’est passé depuis 2009 et le 23 juin entre-temps. C’est tout ce qu’on demandait pour essayer de voir comment aller aux Législatives. Je pense, donc, que le cours des choses, notamment pour ce qui concerne le Président Wade et le Pds, aurait été différent. Parce que pour moi, et c’est ce que j’ai toujours pensé, l’avenir du Pds dépendrait largement de la façon dont le Président Wade quitterait le pouvoir. Il fallait qu’il sorte grandi pour l’intérêt, la stabilité et l’image du Sénégal. Et jusqu’au 25 mars, malgré tout ce qui s’est passé, l’acte qu’il a posé en appelant Macky Sall et les résultats que cela a produit avec des appels venant de partout à travers le monde pour le féliciter a conforté l’image du Sénégal. Je pense que s’il en était resté là, sur ce dernier acte, tout ce qui s’est passé le concernant ainsi que le parti ne serait pas arrivé. Il devait se mettre en dehors du combat et ne plus se mettre en face de Macky Sall qu’il a contribué à former.
Peut-être que du point de vue arithmétique, le Pds et Bokk gis gis unis auraient fait un meilleur score, mais je pense que du point de vue des principes, des valeurs à porter, une autre perspective était à ouvrir, et pour moi c’était le moment de le faire.
Les discussions étaient nécessaires, in-dispensables même. C’était de l’intérêt du Président Wade et aussi pour que le Pds puisse repartir sur de nouvelles bases. Cela n’a jamais été une question de personne. Les gens l’ont posé de manière subjective, mais en tout cas, me concernant, il n’a jamais été question d’un tel débat. Et on aurait pu se retrouver entre responsables du Pds, discuter et ouvrir une perspective commune. On aurait eu beaucoup plus de chance.
Il n’y a vraiment pas eu de discussion ?
Personnellement, j’ai cherché en vain à ce qu’il y ait des discussions.
Du côté du Président Wade, on dit le contraire, que ce serait vous de Bokk gis gis qui n’aviez pas voulu discuter. C’est un faux procès qu’on vous fait alors ?
Ah non ! J’ai cherché à discuter pendant qu’il était encore temps car le 7 avril, on devait déposer les listes. En tant que président de l’Assemblée, jusqu’au 3 avril, j’ai cherché à discuter avec le Président Wade. J’ai vu des comportements, je n’entrerais pas dans les détails, mais des choses se passaient sous mes yeux sans que je sois associé. J’en ai tiré la leçon et l’alliance avec les autres a été quelque chose de fortuit.
Mais personne n’a pensé à appeler Wade pour provoquer une discussion ?
Disons qu’on a quand même vu des choses qui nous avaient complètement retournés. Des listes étaient déjà préparées. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je ne regrette pas, malgré les résultats que nous avons enregistrés. Et je souhaite bonne chance aussi à mes frères du Pds.
Bokk gis gis semblait aller dans une logique d’évoluer vers une formation politique. Mais, Abdoulaye Baldé a créé son propre parti ?
A sa décharge, il l’avait dit. La création de son parti, il l’avait annoncée, il avait accepté de venir dans le cadre de la coalition pour que nous allions ensemble aux Législatives. Mais il avait dit clairement qu’à la fin, il allait continuer le travail qu’il avait entamé avec ses amis pour la création de son parti. Donc, ce n’était pas une surprise pour les uns et les autres. Cela dit, les gens ont envisagé la poursuite du compagnonnage. En effet, comme Aliou Dia qui avait son parti, Baldé pouvait créer le sien et rester dans la coalition. Le fait de créer son parti ne devait pas, selon la plupart d’entre nous, remettre en cause la coalition. Cela dit, chacun est libre de quitter une coalition.
Vous pensez que dans la perspective des élections locales de 2014, la coalition pourra encore fonctionner ?
Comme je l’ai déjà dit, certains sont en train de discuter. Moi, je suis dans une période de très grande réflexion.
Quelle place laissez-vous à des retrouvailles avec ce qui reste du Pds ?
Ce qui a beaucoup fait mal aux gens de Bokk gis gis, c’est quand même des propos très durs tenus par des responsables du Pds. Il y a eu des blessures assez profondes quand même. Des attaques contre Pape Diop, contre moi, sans compter des propos vraiment très déplacés. Je n’aime pas ça. Au contraire, à un moment, je pensais qu’on était trahis, parce qu’on ne peut pas, en tant que responsables, voir que des choses importantes se passent et qu’on ne soit pas associés. Donc, des retrouvailles avec les gens du Pds ? Il y a des gens qui y travaillent. Mais moi je suis dans une période de très grande réflexion pour voir comment être utile à mon pays. Ce n’est pas forcément dans un cadre politicien mais il y a plusieurs formes qu’on peut trouver pour être utile à son pays. Pour le moment, c’est ma démarche personnelle, et je suis en train de discuter avec des amis sur cela.
Vous aviez l’impression, dit-on, qu’on a mis des gens sur les listes qui étaient plus proches de Karim Wade ?
J’ai vu des listes à Pikine qui étaient préparées… Cela m’a choqué. J’ai entrevu un début de liste nationale, j’ai été surpris. Je n’étais pas choqué par le fait que ceux qui y étaient ne devraient pas y être, mais le fait de ne pas être associé. Je pensais et j’ai dit que la configuration de la prochaine Assemblée devrait nous pousser à y envoyer, entre autres, nos responsables ayant une experience parlementaire avérée pour bien tenir notre nouvelle position d’opposants.
Certains responsables du Pds disaient que c’étaient de fausses listes, ce n’était pas la liste authentique ?
Comment peut-on, dans une situation aussi sérieuse et dans un parti responsable, parler de fausses ou vraies listes. Je pense que c’est tout cela d’ailleurs qui a créé la confusion. A partir d’un certain moment je me suis personnellement mis en retrait.
Il se dit que vous avez été particulièrement blessé par certains propos de Me Wade ?
Absolument, j’ai été très blessé. Cela c’est passé le 5 avril, je n’entre pas dans les détails, je reviendrai là-dessus le moment opportun avec vous, si vous le souhaitez. Mais, la réaction du Président Wade après mon entrevue avec le Président Macky Sall concernant l’Assemblée nationale, m’a rappelé de vieux souvenirs. J’ai fait trois ans et demi à la tête de l’Assemblée : j’ai eu de très bons rapports avec le Président Wade. On discutait de beaucoup de choses mais cela m’a rappelé une période antérieure -quand j’étais ministre- que j’avais commencé à oublier, j’en ai tiré la leçon.
Depuis lors vous avez refusé de rencontrer le Président Wade ?
J’en ai tiré la leçon.
Dans la presse il a été dit que Wade vous a reproché votre rencontre avec Macky Sall ?
(Il se répète) J’en ai tiré la leçon (rires). J’étais le Président d’une institution, j’ai discuté avec le Président Macky Sall et ça c’est bien déroulé.
On ne peut pas occulter les publications faites par la presse sur la question. Elle a informé que vous avez discuté avec le président de la République du calendrier des élections législatives qu’il fallait repousser de 15 jours, on a dit que le Président Wade voulait que vous demandiez un report de 6 mois ?
Quand je discutais avec le Président Macky Sall le 5 avril, le Président Wade avait déjà donné son accord pour qu’on reporte les élections. Il avait donné son accord pour cela depuis le 3 avril. Donc, je n’étais pas parti pour négocier un calendrier. Le Président Macky Sall avait déjà demandé aux partis de repousser d’au moins 15 jours ; le Pds a été le dernier parti à avoir donné son accord et il l’a fait le 3 avril. J’étais allé pour discuter techniquement de comment faire par rapport au fonctionnement de l’Assemblée nationale du fait que, dans son message à la Nation du 3 avril 2012, le Président Macky Sall avait déjà fixé la date des élections législatives. Je n’ai discuté que de ça.
Autrement dit, le Président Wade vous a reproché quelque chose que vous n’avez pas fait ?
Ce que je viens de vous dire est vérifiable, je n’y suis pas allé pour négocier quoi que ce soit. J’y étais pour voir techniquement dans ces conditions comment continuer de faire fonctionner normalement l’Assemblée nationale.
Quelle lecture faites-vous de la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale ?
On a une Assemblée nationale composée d’hommes politiques d’une très grande expérience, il y a des hommes et des femmes de très grande valeur, tant du côté de la majorité que du côté de l’opposition. Il y a d’anciens ministres, d’anciens parlementaires aguerris. Je pense qu’il y a des ressources humaines de qualité qui peuvent faire une bonne Assemblée.
Pensez-vous que cette composition de l’Assemblée, qualitativement, est supérieure à celle précédente ?
Je ne peux pas le dire, mais on a quand même des ressources humaines de qualité, peut-être qualitativement au sens où cette chambre est moins homogène que la chambre que j’ai eu le privilège de diriger, qui était sortie des urnes des élections de 2007, qui avaient été, faut-il le rappeler, boycottées par des partis aujourd’hui présents à l’Assemblée. Je pense que d’un point de vue politique, elle peut-être qualitativement plus intéressante grâce au nombre de partis et à la diversité de leur parcours et de leur orientation idéologique, même si beaucoup font partie de la majorité. Je dois dire qu’on a eu des ressources humaines de qualité dans l’Assemblée sortante. Il y a aussi la parité qui joue ; je ne connais pas malheureusement la plupart des personnes qui sont investies. Dans les prochains mois, on verra par rapport aux profils qui vont émerger. C’est une bonne chose a priori mais, du point de vue de la qualité du débat, des interventions, du travail, je n’ai pas de préjugés défavorables.
La loi sur la parité a été un casse-tête pour la confection des listes au sein de Bokk gis gis…
Oui pour toutes les listes d’ailleurs.
Vous aviez voté pour cette loi. Est-ce que vous seriez prêt à refaire la même chose ?
Je pense que c’est une bonne chose, même si on aurait pu faire comme en France, c’est-à-dire en y allant progressivement. On aurait pu y réfléchir, voir comment cela s’est fait ailleurs comme au Rwanda. Dans ce pays, cela s’est fait mais la loi ne l’impose pas. Il faut penser aux pays du nord de l’Europe où on note un fort taux de participation des femmes aux instances parlementaires. Je pense qu’on a aujourd’hui la chance d’évaluer ce qui a été fait.
Vous ne partagez pas l’avis que cette loi sur la parité procède d’une certaine démagogie ?
Non, je pense que le Président Wade est comme ça ; c’est une conviction chez lui, il s’est battu hors du Sénégal avec ses pairs pour imposer pratiquement la parité au sein de l’Exécutif de la commission de l’Union africaine. Il l’a fait partout ailleurs, je pense que c’est une forte conviction et il faut le lui reconnaître.
L’actualité au Sénégal ce sont les inondations, vous êtes responsable politique de la banlieue, une zone qui est dans l’eau, comment vous trouvez cette situation ?
Je pense que c’est dramatique, les années passées j’étais plus actif à ce niveau mais pour des contraintes personnelles, je le suis moins actuellement. Je vois les difficultés. On ne peut pas dire que la situation s’est aggravée par rapport à 2005 quand la cité Belle vue, la Zone de captage étaient complètement sous les eaux. On était resté 4 à 5 jours, voire une semaine durant laquelle on ne pouvait pas passer sur la route nationale. Entre Diaksao et Diamaguène Sicap Mbao, les gens étaient obligés de garer leur voiture, les bus ne pouvaient pas passer, le transport en commun ne fonctionnait pas. On a eu 180 mm d’eau en 2005 ; c’était la première fois depuis des années. Là on a eu 150 mm en une journée, c’est à peu près la même chose. Entre temps, il faut dire quand même qu’il y a eu une évolution dans les infrastructures ce qui fait qu’aujourd’hui malgré cela on continue à circuler sur la Route nationale.
Est-ce que vous pensez que les investissements en termes d’infrastructures pour les drainages des eaux qui auraient dû être faits l’ont été ?
Je pense que les autorités sont en train d’évaluer, que la situation permet de dire, en tout cas, que tout ce qui aurait dû être fait pour accompagner les infrastructures ne l’a pas encore été. Si je vois l’autoroute à péage et le problème que ça pose en ce moment -je n’ai certes pas accès aux dossiers- mais je suppose que c’est parce que les travaux ne sont pas terminés.
Vous avez été ministre de l’Equipement ; vous connaissez bien ces questions. Est-ce qu’il y avait des projets dans les tiroirs qui auraient pu nous éviter cette situation ?
Je ne connais pas le projet technique de l’autoroute à péage mais je suis persuadé qu’il y a un volet assainissement qui devait prendre toute la zone traversant la banlieue de Pikine qui est plus concernée, de Guinaw Rails jusqu’à la sortie de Mbao. Je me rends compte maintenant que ces zones sont dans des difficultés. Je suppose que c’est parce que les travaux ne sont pas encore terminés.
D’autres trouvent aberrant que l’autoroute à péage soit coupée par les eaux de pluie ?
Je pense que la responsabilité de tout le monde est engagée dans un projet d’une telle envergure. Il faut éviter de jeter en pature telle ou telle partie au contrat d’exécution. Il y a l’entrepreneur qui travaille sur la base d’un cahier des charges, est-ce qu’il l’a respecté ? Est-ce qu’il ne l’a pas respecté ? Pour être positif, je mets, pour le moment, tout cela sur le compte du non achèvement.
Le Président Macky Sall a pris le prétexte de ces inondations pour décider de la suppression du Sénat ? Comment analysez-vous cette mesure ?
Cela me gêne un peu que la question de l’opportunité ou non de créer ou maintenir une institution aussi importante que le Sénat soit liée à une question conjoncturelle et saisonnière comme les inondations. On ne devait pas réfléchir de la sorte, à mon avis, dans une démocratie comme la nôtre et compte tenu de l’expérience de notre pays en la matière. C’est par rapport à la volonté de renforcer la démocratie, le Parlement face à l’Exécutif, qu’on a estimé nécessaire d’avoir une meilleure représentation de la Nation au niveau des deux Chambres. C’est pour cela qu’on a jugé nécessaire de créer le Sénat et l’Assemblée nationale. Ça me gêne qu’on supprime le Sénat en invoquant les inondations. Parce qu’on ne crée pas une institution en fonction des changements climatiques. La gestion des inondations est une question budgétaire qui doit être analysée comme telle. La question du Sénat était déjà agitée par certains de nos compatriotes. Cette façon de faire qui avait cours dans le défunt régime… (Il ne termine pas).
Justement cette façon de faire était déjà arrivée quand le Président Wade avait reporté les élections législatives à cause des inondations ?
Absolument, c’était arrivé en 2005. Il y a deux choses que je déplore c’est qu’il n’y ait pas eu de concertation sur cette question très importante. Il y en a qui sont pour et d’autres contre. Je pense que le Président Macky Sall avait commencé son mandat sous le signe de la concertation. Peut-être qu’il n’en a pas eu le temps, mais je pense qu’il aurait été plus à l’aise s’il avait entamé une concertation avec les différents acteurs. Des listes avaient déjà été déposées pour les élections sénatoriales, il aurait été bon, par élégance, d’appeler les uns et les autres pour avoir leur avis. Et je pense que la plupart lui aurait donné leur accord. Je pense aujourd’hui qu’avec plus de sérénité et de calme dans le débat politique nous pouvons parvenir à des consensus forts autour de questions comme celle-là.
Est-ce que vous n’êtes pas en train de dire que le Sénat n’était pas utile, ne semble pas pertinent ?
Je dis qu’il y a des arguments pour et des arguments contre. Même si on avait obtenu la suppression en l’arrimant à cet argument des inondations, je pense que la question du Sénat aurait pu être discutée dans le cadre de grandes réformes institutionnelles que le Président a annoncées. Il a déjà annoncé qu’il va réduire son mandat de 7 à 5 ans, la question du Sénat, de la vice-présidence et d’autres encore. Je pense que cela aurait pu faire l’objet de concertations avec les différents acteurs politiques. Le Sénégal en sortirait grandi. La dernière chose aussi et surtout, j’allais l’oublier, c’est qu’on le fasse en procédure d’urgence. Tout ce qui nous est arrivé de mauvais, y compris le 23 juin, c’est parce que cela porte sur des questions importantes qu’on veut traiter en procédure d’urgence. On doit laisser aux parlementaires le temps de réfléchir.
L’échéance des élections du Sénat doit aussi imposer une cadence particulière.
Oui, oui, tout à fait. Je vous le concède. Mais cela dit, on aurait pu avoir une concertation pour le Sénat.
Il y a aussi la vice-présidence qui a été supprimée. Cette institution avait été mise en place sans pour autant qu’elle ne soit pourvue. Le Président Macky Sall décide de la rayer de l’architecture institutionnelle, comment voyez-vous cela ?
Cela ne me gêne pas parce que nous-mêmes l’avions votée, sans donner corps à la fonction. Et je pense que pour le moment la fonction est même parasitée par ce qui s’est passé le 23 juin et je comprends parfaitement qu’on l’enlève. Même si c’était plus légitime dans la conception qu’on en avait dans la proposition qui était sur la table des députés le 23 juin parce qu’il devait être élu alors que dans le texte actuel il est nommé par le Président. Et je pense qu’on doit mettre sous le boisseau l’évocation d’un président et d’un vice-président.
On va vers la Déclaration de politique générale du Premier ministre. Vous, vous avez l’expérience d’un tel exercice pour avoir reçu deux Déclarations de politique générale avec Souleymane Ndéné et Cheikh Aguibou Soumaré. Qu’est-ce qui peut se passer dans la tête d’un président de l’Assemblée nationale à la veille d’une telle échéance ?
Le président de l’Assemblée nationale n’a pas tellement de problèmes par rapport à cela. Par rapport aux débats en général et par rapport à la Déclaration de politique générale. D’ailleurs, c’est même frustrant parce qu’il ne participe pas aux débats à moins qu’il ne cède sa place à un de ses collègues. Il faut faire preuve de vigilance parce que dans de tels moments on voit du tout. Il y a des gens qui en profitent pour marquer le passage du Premier ministre. Il faudra veiller au respect du règlement intérieur et permettre aux Sénégalais de connaître la politique que va mener le Premier ministre Abdoul Mbaye et l’appréciation qu’en ont les différents acteurs politiques présents dans l’Hémicycle.
La polémique est née et voudrait que Abdoul Mbaye aurait violé le règlement intérieur de l’Assemblée nationale en ne présentant pas sa Déclaration de politique générale dans les 90 jours.
Certes, il n’aura pas été le premier mais c’est ce que dit le texte.
Souleymane Ndéné l’avait lui aussi violé.
Souleymane Ndéné ? Je n’en suis pas sûr. Je ne veux pas citer de nom, mais en tout cas je suis formel, il n’aura pas été le premier.
Macky Sall aussi…
Abdoul Mbaye n’aura pas été le premier, mais cela dit ce n’est pas parce que les autres ont fauté qu’il faut le cautionner. C’est normal que les acteurs politiques marquent leur coup quand il y a des choses comme ça. Et ça doit amener les gens à respecter les textes. Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il aurait dû le faire à temps.
Le débat sur le contrôle des institutions de l’Etat se pose. Des institutions comme l’Assemblée nationale ne font pas l’objet de contrôle, a priori, ni a posteriori. Les dépenses sont faites au gré des responsables de l’Assemblée nationale. Que dites-vous de cela ?
Ah oui, j’en profite d’ailleurs parce que je lis la presse et je dis toujours à des amis qu’ils mettent en mal le président de l’Assemblée nationale que j’ai été avec les populations. On vous prête des salaires qui n’ont rien à voir avec la réalité. J’ai vu un journal qui dit qu’il a huit millions par mois. Mais le président de l’Assemblée a la moitié de ce chiffre. Voilà. Deuxièmement la caisse noire d’un milliard, je n’ai jamais vu de caisse noire d’un milliard.
A combien s’élèvent alors les fonds politiques du président de l’Assemblée nationale ?
Vraiment c’est loin, loin, mais alors loin de tout ce que l’on avance. Gérer ce que l’on considère comme étant les fonds politiques de l’Assemblée nationale dépend de chacun. C’était en faveur de députés, de Sénégalais qui étaient souvent demandeurs d’appuis financiers. Maintenant, je peux le dire aujourd’hui. J’avais donné mon accord de principe, certes en privé, pour que les marchés de l’Assemblée passent par l’Armp (Autorité de régulation des marchés publics). J’ai donné en privé et verbalement mon accord, j’ai même rencontré un expert de la Banque mondiale qui travaille sur ces questions, on a longuement discuté et je lui avais dit en privé qu’il faudrait que l’on travaille sur cette question. Dans le projet de contrat de Législature que nous avons fait dans Bokk gis gis, nous avons pensé que l’Assemblée doit être soumise au code des marchés publics et qu’elle soit soumise comme les autres institutions en France par exemple au contrôle de la Cour des comptes. De telles mesures sécurisent les institutions et ceux qui les dirigent. Nous disions dans Bokk gis gis qu’il faut qu’il y ait des textes qui obligent les acteurs politiques à rester raisonnables. Quelles que soient les vertus de l’individu, président de la République, président d’institution, il y a tout un faisceau de comportements, de sollicitations dans nos sociétés qui font que s’il n’y a pas assez de garde-fous, il y a souvent des dérapages. Je suis pour le contrôle à tous les niveaux. Toutes les grandes démocraties arrivent à la bonne gouvernance comme ça. En France, la Cour des comptes contrôle jusqu’au nombre de cuillères au niveau de la présidence de la République. Toutes les institutions font l’objet de contrôles. Vous avez vu le rapport sur l’Elysée, Sarkozy a réussi à baisser le budget. Il faut que nous arrivions à ça.
Quelles sont vos satisfactions et vos regrets durant votre Législature à l’Assemblée nationale ?
Ma grande satisfaction c’est d’avoir, malgré les tumultes et les difficultés que nous avons traversés durant ces deux dernières années, maintenu l’institution dans de bonnes conditions de travail. Mais aussi, maintenir la sérénité. Les autres motifs de satisfaction, c’est d’avoir engagé l’Assemblée au cours des dernières années, dans une démarche d’evaluation des politiques publiques et de résorption du retard dans la presentation des lois de règlements. Ce que j’ai regretté c’est ce qui s’est passé le 23 juin. Je regrette enfin de n’avoir pas mis la chaîne parlementaire comme je m’y étais engagé.
Madiambal Diagne
Source: Le Quotidien
J’ai renoncé à mon mandat parce que c’était un engagement que j’avais pris au départ. Je n’envisageais même pas d’être sur la liste de Bokk gis gis, bien qu’étant parmi les principaux initiateurs de la mise en place de cette coalition. D’autres frères et amis étaient dans cette perspective. Mais, on nous a convaincus qu’il fallait, ne serait-ce que pour crédibiliser la démarche, que nous figurions sur les listes.
Vous étiez aussi dans la même logique que Pape Diop…
Pape Diop et la plupart des ministres d’Etat. C’est peut-être cela qui a créé d’ailleurs cette confusion dans le débat avec Abdoulaye Baldé. C’est vrai qu’il ne s’est jamais engagé mais beaucoup l’avaient fait. Mais à sa décharge, Baldé ne s’est jamais engagé en ce sens. Il n’y a pas de raison de polémiquer sur cette question. Par la suite, il a créé son parti. Cela dit, on avait envisagé même d’aller plus loin, dans la perspective de 2014 avec Bokk gis gis. Des réflexions sont en cours pour voir l’opportunité de maintenir la coalition et sous quelle forme. D’autres envisagent même de créer un parti, d’autres des mouvements. Le débat n’est pas encore tranché.
Certains ont, pourtant, considéré qu’à partir du moment où des gens sont investis sur une liste, ils peuvent cristalliser un électorat sans pour autant siéger. Est-ce que ce n’est pas détourner le vote des électeurs ?
Non ! De mon point de vue, l’identification se fait surtout quand on est sur la liste départementale. Il me serait difficile, si j’étais investi sur la liste départementale de Pikine, que les gens de Pikine portent leur choix sur ma personne et que je désiste. Mais sur la liste nationale, c’est une question de position. Donc, je pense que psychologiquement, moralement, ce n’est pas lourd à porter quand on est sur la liste nationale par rapport à ceux qui sont sur la liste départementale.
Le débat a été posé aussi ?
Personnellement, pendant la campagne, je ne l’ai pas caché aux militants du département de Pikine. Ce n’est pas seulement à l’Assemblée qu’on peut être utile pour son pays ou son Peuple.
Il y a eu des difficultés lors de la confection des listes de Bokk gis gis. Tout le monde voulait être aux premiers rangs ?
C’est sûr, il y a eu des discussions très sérieuses, très serrées, pénibles même parfois. Mais au bout du compte, nous y sommes arrivés. C’est une coalition, les gens ne se connaissaient pas très bien, c’était la première fois que certains responsables se retrouvaient dans un cadre politique commun. C’était tout nouveau et cela s’est fait dans la précipitation compte tenu des delais très courts. On a même réussi une prouesse en mettant en place cette liste qui était crédible. On n’a pas eu le résultat escompté, mais l’œuvre est là et je pense qu’on peut en tirer quelque chose.
Mais quand vous faisiez cette liste, pensiez-vous gagner et arriver devant le Pds, est-ce que ce n’est pas une déception que d’être derrière le Pds ?
Une déception, peut-être. Par rapport aux échos que nous avions quand on a mis en place la coalition. La plupart d’entre nous considèrent que le résultat est appréciable compte tenu du peu de temps qu’on a mis pour mettre en place la coalition ainsi que les difficultés rencontrées pour nous comprendre et mettre en œuvre une campagne bien organisée. Dans ce contexte, l’engouement autour de la coalition presidentielle victorieuse était tel qu’on ne se faisait pas d’illusion. Le Pds a également fait une campagne contre Bokk gis gis. Tout cela réuni, et malgré la déception, je pense qu’il y a quand même des perspectives qui sont ouvertes. Le plus important, dans un engagement politique de ce genre, c’est d’être en accord avec ma conscience quel qu’en soit le resultat.
Mais après coup, est-ce que vous ne vous dites pas qu’après tout, le Pds et Bokk gis gis ensemble auraient pu faire mal ?
Peut-être. Mais je pense que nous n’avons pas à regretter ce qui s’est passé. Personnellement. Je pense que le cours des choses aurait été différent si des discussions sérieuses consistant à tirer les leçons de ce qui venait de se passer à la Présidentielle de 2012, de ce qui s’est passé depuis 2009 et le 23 juin entre-temps. C’est tout ce qu’on demandait pour essayer de voir comment aller aux Législatives. Je pense, donc, que le cours des choses, notamment pour ce qui concerne le Président Wade et le Pds, aurait été différent. Parce que pour moi, et c’est ce que j’ai toujours pensé, l’avenir du Pds dépendrait largement de la façon dont le Président Wade quitterait le pouvoir. Il fallait qu’il sorte grandi pour l’intérêt, la stabilité et l’image du Sénégal. Et jusqu’au 25 mars, malgré tout ce qui s’est passé, l’acte qu’il a posé en appelant Macky Sall et les résultats que cela a produit avec des appels venant de partout à travers le monde pour le féliciter a conforté l’image du Sénégal. Je pense que s’il en était resté là, sur ce dernier acte, tout ce qui s’est passé le concernant ainsi que le parti ne serait pas arrivé. Il devait se mettre en dehors du combat et ne plus se mettre en face de Macky Sall qu’il a contribué à former.
Peut-être que du point de vue arithmétique, le Pds et Bokk gis gis unis auraient fait un meilleur score, mais je pense que du point de vue des principes, des valeurs à porter, une autre perspective était à ouvrir, et pour moi c’était le moment de le faire.
Les discussions étaient nécessaires, in-dispensables même. C’était de l’intérêt du Président Wade et aussi pour que le Pds puisse repartir sur de nouvelles bases. Cela n’a jamais été une question de personne. Les gens l’ont posé de manière subjective, mais en tout cas, me concernant, il n’a jamais été question d’un tel débat. Et on aurait pu se retrouver entre responsables du Pds, discuter et ouvrir une perspective commune. On aurait eu beaucoup plus de chance.
Il n’y a vraiment pas eu de discussion ?
Personnellement, j’ai cherché en vain à ce qu’il y ait des discussions.
Du côté du Président Wade, on dit le contraire, que ce serait vous de Bokk gis gis qui n’aviez pas voulu discuter. C’est un faux procès qu’on vous fait alors ?
Ah non ! J’ai cherché à discuter pendant qu’il était encore temps car le 7 avril, on devait déposer les listes. En tant que président de l’Assemblée, jusqu’au 3 avril, j’ai cherché à discuter avec le Président Wade. J’ai vu des comportements, je n’entrerais pas dans les détails, mais des choses se passaient sous mes yeux sans que je sois associé. J’en ai tiré la leçon et l’alliance avec les autres a été quelque chose de fortuit.
Mais personne n’a pensé à appeler Wade pour provoquer une discussion ?
Disons qu’on a quand même vu des choses qui nous avaient complètement retournés. Des listes étaient déjà préparées. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je ne regrette pas, malgré les résultats que nous avons enregistrés. Et je souhaite bonne chance aussi à mes frères du Pds.
Bokk gis gis semblait aller dans une logique d’évoluer vers une formation politique. Mais, Abdoulaye Baldé a créé son propre parti ?
A sa décharge, il l’avait dit. La création de son parti, il l’avait annoncée, il avait accepté de venir dans le cadre de la coalition pour que nous allions ensemble aux Législatives. Mais il avait dit clairement qu’à la fin, il allait continuer le travail qu’il avait entamé avec ses amis pour la création de son parti. Donc, ce n’était pas une surprise pour les uns et les autres. Cela dit, les gens ont envisagé la poursuite du compagnonnage. En effet, comme Aliou Dia qui avait son parti, Baldé pouvait créer le sien et rester dans la coalition. Le fait de créer son parti ne devait pas, selon la plupart d’entre nous, remettre en cause la coalition. Cela dit, chacun est libre de quitter une coalition.
Vous pensez que dans la perspective des élections locales de 2014, la coalition pourra encore fonctionner ?
Comme je l’ai déjà dit, certains sont en train de discuter. Moi, je suis dans une période de très grande réflexion.
Quelle place laissez-vous à des retrouvailles avec ce qui reste du Pds ?
Ce qui a beaucoup fait mal aux gens de Bokk gis gis, c’est quand même des propos très durs tenus par des responsables du Pds. Il y a eu des blessures assez profondes quand même. Des attaques contre Pape Diop, contre moi, sans compter des propos vraiment très déplacés. Je n’aime pas ça. Au contraire, à un moment, je pensais qu’on était trahis, parce qu’on ne peut pas, en tant que responsables, voir que des choses importantes se passent et qu’on ne soit pas associés. Donc, des retrouvailles avec les gens du Pds ? Il y a des gens qui y travaillent. Mais moi je suis dans une période de très grande réflexion pour voir comment être utile à mon pays. Ce n’est pas forcément dans un cadre politicien mais il y a plusieurs formes qu’on peut trouver pour être utile à son pays. Pour le moment, c’est ma démarche personnelle, et je suis en train de discuter avec des amis sur cela.
Vous aviez l’impression, dit-on, qu’on a mis des gens sur les listes qui étaient plus proches de Karim Wade ?
J’ai vu des listes à Pikine qui étaient préparées… Cela m’a choqué. J’ai entrevu un début de liste nationale, j’ai été surpris. Je n’étais pas choqué par le fait que ceux qui y étaient ne devraient pas y être, mais le fait de ne pas être associé. Je pensais et j’ai dit que la configuration de la prochaine Assemblée devrait nous pousser à y envoyer, entre autres, nos responsables ayant une experience parlementaire avérée pour bien tenir notre nouvelle position d’opposants.
Certains responsables du Pds disaient que c’étaient de fausses listes, ce n’était pas la liste authentique ?
Comment peut-on, dans une situation aussi sérieuse et dans un parti responsable, parler de fausses ou vraies listes. Je pense que c’est tout cela d’ailleurs qui a créé la confusion. A partir d’un certain moment je me suis personnellement mis en retrait.
Il se dit que vous avez été particulièrement blessé par certains propos de Me Wade ?
Absolument, j’ai été très blessé. Cela c’est passé le 5 avril, je n’entre pas dans les détails, je reviendrai là-dessus le moment opportun avec vous, si vous le souhaitez. Mais, la réaction du Président Wade après mon entrevue avec le Président Macky Sall concernant l’Assemblée nationale, m’a rappelé de vieux souvenirs. J’ai fait trois ans et demi à la tête de l’Assemblée : j’ai eu de très bons rapports avec le Président Wade. On discutait de beaucoup de choses mais cela m’a rappelé une période antérieure -quand j’étais ministre- que j’avais commencé à oublier, j’en ai tiré la leçon.
Depuis lors vous avez refusé de rencontrer le Président Wade ?
J’en ai tiré la leçon.
Dans la presse il a été dit que Wade vous a reproché votre rencontre avec Macky Sall ?
(Il se répète) J’en ai tiré la leçon (rires). J’étais le Président d’une institution, j’ai discuté avec le Président Macky Sall et ça c’est bien déroulé.
On ne peut pas occulter les publications faites par la presse sur la question. Elle a informé que vous avez discuté avec le président de la République du calendrier des élections législatives qu’il fallait repousser de 15 jours, on a dit que le Président Wade voulait que vous demandiez un report de 6 mois ?
Quand je discutais avec le Président Macky Sall le 5 avril, le Président Wade avait déjà donné son accord pour qu’on reporte les élections. Il avait donné son accord pour cela depuis le 3 avril. Donc, je n’étais pas parti pour négocier un calendrier. Le Président Macky Sall avait déjà demandé aux partis de repousser d’au moins 15 jours ; le Pds a été le dernier parti à avoir donné son accord et il l’a fait le 3 avril. J’étais allé pour discuter techniquement de comment faire par rapport au fonctionnement de l’Assemblée nationale du fait que, dans son message à la Nation du 3 avril 2012, le Président Macky Sall avait déjà fixé la date des élections législatives. Je n’ai discuté que de ça.
Autrement dit, le Président Wade vous a reproché quelque chose que vous n’avez pas fait ?
Ce que je viens de vous dire est vérifiable, je n’y suis pas allé pour négocier quoi que ce soit. J’y étais pour voir techniquement dans ces conditions comment continuer de faire fonctionner normalement l’Assemblée nationale.
Quelle lecture faites-vous de la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale ?
On a une Assemblée nationale composée d’hommes politiques d’une très grande expérience, il y a des hommes et des femmes de très grande valeur, tant du côté de la majorité que du côté de l’opposition. Il y a d’anciens ministres, d’anciens parlementaires aguerris. Je pense qu’il y a des ressources humaines de qualité qui peuvent faire une bonne Assemblée.
Pensez-vous que cette composition de l’Assemblée, qualitativement, est supérieure à celle précédente ?
Je ne peux pas le dire, mais on a quand même des ressources humaines de qualité, peut-être qualitativement au sens où cette chambre est moins homogène que la chambre que j’ai eu le privilège de diriger, qui était sortie des urnes des élections de 2007, qui avaient été, faut-il le rappeler, boycottées par des partis aujourd’hui présents à l’Assemblée. Je pense que d’un point de vue politique, elle peut-être qualitativement plus intéressante grâce au nombre de partis et à la diversité de leur parcours et de leur orientation idéologique, même si beaucoup font partie de la majorité. Je dois dire qu’on a eu des ressources humaines de qualité dans l’Assemblée sortante. Il y a aussi la parité qui joue ; je ne connais pas malheureusement la plupart des personnes qui sont investies. Dans les prochains mois, on verra par rapport aux profils qui vont émerger. C’est une bonne chose a priori mais, du point de vue de la qualité du débat, des interventions, du travail, je n’ai pas de préjugés défavorables.
La loi sur la parité a été un casse-tête pour la confection des listes au sein de Bokk gis gis…
Oui pour toutes les listes d’ailleurs.
Vous aviez voté pour cette loi. Est-ce que vous seriez prêt à refaire la même chose ?
Je pense que c’est une bonne chose, même si on aurait pu faire comme en France, c’est-à-dire en y allant progressivement. On aurait pu y réfléchir, voir comment cela s’est fait ailleurs comme au Rwanda. Dans ce pays, cela s’est fait mais la loi ne l’impose pas. Il faut penser aux pays du nord de l’Europe où on note un fort taux de participation des femmes aux instances parlementaires. Je pense qu’on a aujourd’hui la chance d’évaluer ce qui a été fait.
Vous ne partagez pas l’avis que cette loi sur la parité procède d’une certaine démagogie ?
Non, je pense que le Président Wade est comme ça ; c’est une conviction chez lui, il s’est battu hors du Sénégal avec ses pairs pour imposer pratiquement la parité au sein de l’Exécutif de la commission de l’Union africaine. Il l’a fait partout ailleurs, je pense que c’est une forte conviction et il faut le lui reconnaître.
L’actualité au Sénégal ce sont les inondations, vous êtes responsable politique de la banlieue, une zone qui est dans l’eau, comment vous trouvez cette situation ?
Je pense que c’est dramatique, les années passées j’étais plus actif à ce niveau mais pour des contraintes personnelles, je le suis moins actuellement. Je vois les difficultés. On ne peut pas dire que la situation s’est aggravée par rapport à 2005 quand la cité Belle vue, la Zone de captage étaient complètement sous les eaux. On était resté 4 à 5 jours, voire une semaine durant laquelle on ne pouvait pas passer sur la route nationale. Entre Diaksao et Diamaguène Sicap Mbao, les gens étaient obligés de garer leur voiture, les bus ne pouvaient pas passer, le transport en commun ne fonctionnait pas. On a eu 180 mm d’eau en 2005 ; c’était la première fois depuis des années. Là on a eu 150 mm en une journée, c’est à peu près la même chose. Entre temps, il faut dire quand même qu’il y a eu une évolution dans les infrastructures ce qui fait qu’aujourd’hui malgré cela on continue à circuler sur la Route nationale.
Est-ce que vous pensez que les investissements en termes d’infrastructures pour les drainages des eaux qui auraient dû être faits l’ont été ?
Je pense que les autorités sont en train d’évaluer, que la situation permet de dire, en tout cas, que tout ce qui aurait dû être fait pour accompagner les infrastructures ne l’a pas encore été. Si je vois l’autoroute à péage et le problème que ça pose en ce moment -je n’ai certes pas accès aux dossiers- mais je suppose que c’est parce que les travaux ne sont pas terminés.
Vous avez été ministre de l’Equipement ; vous connaissez bien ces questions. Est-ce qu’il y avait des projets dans les tiroirs qui auraient pu nous éviter cette situation ?
Je ne connais pas le projet technique de l’autoroute à péage mais je suis persuadé qu’il y a un volet assainissement qui devait prendre toute la zone traversant la banlieue de Pikine qui est plus concernée, de Guinaw Rails jusqu’à la sortie de Mbao. Je me rends compte maintenant que ces zones sont dans des difficultés. Je suppose que c’est parce que les travaux ne sont pas encore terminés.
D’autres trouvent aberrant que l’autoroute à péage soit coupée par les eaux de pluie ?
Je pense que la responsabilité de tout le monde est engagée dans un projet d’une telle envergure. Il faut éviter de jeter en pature telle ou telle partie au contrat d’exécution. Il y a l’entrepreneur qui travaille sur la base d’un cahier des charges, est-ce qu’il l’a respecté ? Est-ce qu’il ne l’a pas respecté ? Pour être positif, je mets, pour le moment, tout cela sur le compte du non achèvement.
Le Président Macky Sall a pris le prétexte de ces inondations pour décider de la suppression du Sénat ? Comment analysez-vous cette mesure ?
Cela me gêne un peu que la question de l’opportunité ou non de créer ou maintenir une institution aussi importante que le Sénat soit liée à une question conjoncturelle et saisonnière comme les inondations. On ne devait pas réfléchir de la sorte, à mon avis, dans une démocratie comme la nôtre et compte tenu de l’expérience de notre pays en la matière. C’est par rapport à la volonté de renforcer la démocratie, le Parlement face à l’Exécutif, qu’on a estimé nécessaire d’avoir une meilleure représentation de la Nation au niveau des deux Chambres. C’est pour cela qu’on a jugé nécessaire de créer le Sénat et l’Assemblée nationale. Ça me gêne qu’on supprime le Sénat en invoquant les inondations. Parce qu’on ne crée pas une institution en fonction des changements climatiques. La gestion des inondations est une question budgétaire qui doit être analysée comme telle. La question du Sénat était déjà agitée par certains de nos compatriotes. Cette façon de faire qui avait cours dans le défunt régime… (Il ne termine pas).
Justement cette façon de faire était déjà arrivée quand le Président Wade avait reporté les élections législatives à cause des inondations ?
Absolument, c’était arrivé en 2005. Il y a deux choses que je déplore c’est qu’il n’y ait pas eu de concertation sur cette question très importante. Il y en a qui sont pour et d’autres contre. Je pense que le Président Macky Sall avait commencé son mandat sous le signe de la concertation. Peut-être qu’il n’en a pas eu le temps, mais je pense qu’il aurait été plus à l’aise s’il avait entamé une concertation avec les différents acteurs. Des listes avaient déjà été déposées pour les élections sénatoriales, il aurait été bon, par élégance, d’appeler les uns et les autres pour avoir leur avis. Et je pense que la plupart lui aurait donné leur accord. Je pense aujourd’hui qu’avec plus de sérénité et de calme dans le débat politique nous pouvons parvenir à des consensus forts autour de questions comme celle-là.
Est-ce que vous n’êtes pas en train de dire que le Sénat n’était pas utile, ne semble pas pertinent ?
Je dis qu’il y a des arguments pour et des arguments contre. Même si on avait obtenu la suppression en l’arrimant à cet argument des inondations, je pense que la question du Sénat aurait pu être discutée dans le cadre de grandes réformes institutionnelles que le Président a annoncées. Il a déjà annoncé qu’il va réduire son mandat de 7 à 5 ans, la question du Sénat, de la vice-présidence et d’autres encore. Je pense que cela aurait pu faire l’objet de concertations avec les différents acteurs politiques. Le Sénégal en sortirait grandi. La dernière chose aussi et surtout, j’allais l’oublier, c’est qu’on le fasse en procédure d’urgence. Tout ce qui nous est arrivé de mauvais, y compris le 23 juin, c’est parce que cela porte sur des questions importantes qu’on veut traiter en procédure d’urgence. On doit laisser aux parlementaires le temps de réfléchir.
L’échéance des élections du Sénat doit aussi imposer une cadence particulière.
Oui, oui, tout à fait. Je vous le concède. Mais cela dit, on aurait pu avoir une concertation pour le Sénat.
Il y a aussi la vice-présidence qui a été supprimée. Cette institution avait été mise en place sans pour autant qu’elle ne soit pourvue. Le Président Macky Sall décide de la rayer de l’architecture institutionnelle, comment voyez-vous cela ?
Cela ne me gêne pas parce que nous-mêmes l’avions votée, sans donner corps à la fonction. Et je pense que pour le moment la fonction est même parasitée par ce qui s’est passé le 23 juin et je comprends parfaitement qu’on l’enlève. Même si c’était plus légitime dans la conception qu’on en avait dans la proposition qui était sur la table des députés le 23 juin parce qu’il devait être élu alors que dans le texte actuel il est nommé par le Président. Et je pense qu’on doit mettre sous le boisseau l’évocation d’un président et d’un vice-président.
On va vers la Déclaration de politique générale du Premier ministre. Vous, vous avez l’expérience d’un tel exercice pour avoir reçu deux Déclarations de politique générale avec Souleymane Ndéné et Cheikh Aguibou Soumaré. Qu’est-ce qui peut se passer dans la tête d’un président de l’Assemblée nationale à la veille d’une telle échéance ?
Le président de l’Assemblée nationale n’a pas tellement de problèmes par rapport à cela. Par rapport aux débats en général et par rapport à la Déclaration de politique générale. D’ailleurs, c’est même frustrant parce qu’il ne participe pas aux débats à moins qu’il ne cède sa place à un de ses collègues. Il faut faire preuve de vigilance parce que dans de tels moments on voit du tout. Il y a des gens qui en profitent pour marquer le passage du Premier ministre. Il faudra veiller au respect du règlement intérieur et permettre aux Sénégalais de connaître la politique que va mener le Premier ministre Abdoul Mbaye et l’appréciation qu’en ont les différents acteurs politiques présents dans l’Hémicycle.
La polémique est née et voudrait que Abdoul Mbaye aurait violé le règlement intérieur de l’Assemblée nationale en ne présentant pas sa Déclaration de politique générale dans les 90 jours.
Certes, il n’aura pas été le premier mais c’est ce que dit le texte.
Souleymane Ndéné l’avait lui aussi violé.
Souleymane Ndéné ? Je n’en suis pas sûr. Je ne veux pas citer de nom, mais en tout cas je suis formel, il n’aura pas été le premier.
Macky Sall aussi…
Abdoul Mbaye n’aura pas été le premier, mais cela dit ce n’est pas parce que les autres ont fauté qu’il faut le cautionner. C’est normal que les acteurs politiques marquent leur coup quand il y a des choses comme ça. Et ça doit amener les gens à respecter les textes. Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il aurait dû le faire à temps.
Le débat sur le contrôle des institutions de l’Etat se pose. Des institutions comme l’Assemblée nationale ne font pas l’objet de contrôle, a priori, ni a posteriori. Les dépenses sont faites au gré des responsables de l’Assemblée nationale. Que dites-vous de cela ?
Ah oui, j’en profite d’ailleurs parce que je lis la presse et je dis toujours à des amis qu’ils mettent en mal le président de l’Assemblée nationale que j’ai été avec les populations. On vous prête des salaires qui n’ont rien à voir avec la réalité. J’ai vu un journal qui dit qu’il a huit millions par mois. Mais le président de l’Assemblée a la moitié de ce chiffre. Voilà. Deuxièmement la caisse noire d’un milliard, je n’ai jamais vu de caisse noire d’un milliard.
A combien s’élèvent alors les fonds politiques du président de l’Assemblée nationale ?
Vraiment c’est loin, loin, mais alors loin de tout ce que l’on avance. Gérer ce que l’on considère comme étant les fonds politiques de l’Assemblée nationale dépend de chacun. C’était en faveur de députés, de Sénégalais qui étaient souvent demandeurs d’appuis financiers. Maintenant, je peux le dire aujourd’hui. J’avais donné mon accord de principe, certes en privé, pour que les marchés de l’Assemblée passent par l’Armp (Autorité de régulation des marchés publics). J’ai donné en privé et verbalement mon accord, j’ai même rencontré un expert de la Banque mondiale qui travaille sur ces questions, on a longuement discuté et je lui avais dit en privé qu’il faudrait que l’on travaille sur cette question. Dans le projet de contrat de Législature que nous avons fait dans Bokk gis gis, nous avons pensé que l’Assemblée doit être soumise au code des marchés publics et qu’elle soit soumise comme les autres institutions en France par exemple au contrôle de la Cour des comptes. De telles mesures sécurisent les institutions et ceux qui les dirigent. Nous disions dans Bokk gis gis qu’il faut qu’il y ait des textes qui obligent les acteurs politiques à rester raisonnables. Quelles que soient les vertus de l’individu, président de la République, président d’institution, il y a tout un faisceau de comportements, de sollicitations dans nos sociétés qui font que s’il n’y a pas assez de garde-fous, il y a souvent des dérapages. Je suis pour le contrôle à tous les niveaux. Toutes les grandes démocraties arrivent à la bonne gouvernance comme ça. En France, la Cour des comptes contrôle jusqu’au nombre de cuillères au niveau de la présidence de la République. Toutes les institutions font l’objet de contrôles. Vous avez vu le rapport sur l’Elysée, Sarkozy a réussi à baisser le budget. Il faut que nous arrivions à ça.
Quelles sont vos satisfactions et vos regrets durant votre Législature à l’Assemblée nationale ?
Ma grande satisfaction c’est d’avoir, malgré les tumultes et les difficultés que nous avons traversés durant ces deux dernières années, maintenu l’institution dans de bonnes conditions de travail. Mais aussi, maintenir la sérénité. Les autres motifs de satisfaction, c’est d’avoir engagé l’Assemblée au cours des dernières années, dans une démarche d’evaluation des politiques publiques et de résorption du retard dans la presentation des lois de règlements. Ce que j’ai regretté c’est ce qui s’est passé le 23 juin. Je regrette enfin de n’avoir pas mis la chaîne parlementaire comme je m’y étais engagé.
Madiambal Diagne
Source: Le Quotidien